Finalement, j'arrive un peu tard pour vous parler de cette opportunité pour tous les cinéphiles parisiens: la reprise au Mk2 Beaubourg de 14 films de Yasujiro Ozu depuis mercredi 20 juillet. Si, comme moi, vous aimez le cinéma asiatique, mais n'avez pas encore eu l'occasion de voir beaucoup de chefs d'oeuvre du maître, n'hésitez pas et foncez tête baissée. Pour les autres qui ne sont pas sur Paris, je vous conseille vivement de vous jeter sur le moindre de ses films si vous y avez accés (médiathèque ou passage télévisé).
Né en 1903, décédé en 1963, le cinéaste a été découvert tardivement au niveau international. Ainsi, c'est avec la sortie française du Voyage à Tokyo en 1978 (soit plus de vingt ans après sa réalisation) que le public pourra commencer à découvrir une oeuvre exceptionnelle. Yasujiro Ozu est à ranger, aux côtés d'Akira Kurosawa et de Kenji Mizoguchi, parmi les cinéastes classiques japonais. Mais, à la différence de ces réalisateurs, qui rencontèrent le succès public aussi bien avec des films historiques que des histoires de fantômes japonais, Ozu se spécialisera dans un genre moins populaire : le shomin geki, qui offre des chroniques de la vie quotidienne du Japon contemporain.
Au cours de toute sa filmographie, Ozu va retravailler perpétuellement les mêmes thèmes. En s'intéressant à des familles en mutation liée la plupart du temps au mariage ou remariage d'un membre de la famille, le réalisateur cherche à mettre à jour les dysfonctionnements d'une société où les convenances traditionnalistes sont confrontés à l'ouverture du pays sur les modes de vie occidentaux amenés par l'occupation américaine. Ce sont donc des drames sourds où les sentiments des personnages sont confrontés à l'emprisonnement provoqué par l'usure du quotidien et les conventions sociales.
Du point de vue de la mise en scène, Ozu va tendre au fur et à mesure de sa carrière vers la mise en place d'un système minimaliste reposant sur quelques règles simples, qui deviendront immuables à partir du début des années 50 :
a) aucun mouvement de caméra n'est autorisé.
b) la caméra est placé à quelques centimètres au dessus du sol (on parle de caméra-tatami)
c) tous les changements de plans se font selon une rigueur géométrique précise, c'est à dire soit à 180°, soit à 90°.
Ainsi, si Gosses de Tokyo (1932), premier de ses films à aborder la thématique citée plus haut, laisse encore la place à quelques travellings issus de la passion d'Ozu pour le cinéma hollywoodien des années 20, les films de sa dernière période, à partir de 1949, font preuve d'un sens de l'épure typiquement japonais qui amèneront les critiques à parler de cinéma zen.
Au cours de la rétrospective, j'ai donc eu l'occasion de découvrir deux de ses films. Tout d'abord, Le Goût du Saké (1962). Un homme veuf, employé de bureau est tiraillé entre la nécessité de marier sa fille, afin que celle-ci puisse avoir une vie heureuse, et sa peur de finir ses jours seuls, après le départ de ses enfants du foyer familial. Ultime film du réalisateur, il se trouve être un de ses chefs d'oeuvre. Comme la plupart de ses derniers films, Ozu développe ici un film choral, suivant un plus grand nombre personnages que les précédents, qui lui permettront de développer une palette plus large de situations. Une fois encore, Ozu brasse les mêmes thèmes que dans toute sa filmographie, faisant du Goût du Saké une sorte de "best-of" de ses précédents films. Une partie de la critique japonaise voit dans l'oeuvre d'Ozu une forme de conservatisme et de nostalgie de la tradition. Mais derrière la tranquille sérénité de la mise en scène, on sent bien une sourde révolte face à l'écrasement de l'individu par les conventions sociales.
Face à la tonalité généralement pessimiste de la plupart de ses films, Bonjour (1959) apparaît comme l'exception. Deux enfants entament une grêve de la parole, dans le but de dénoncer l'hypocrisie des adultes et de convaincre leurs parents de leur acheter une télévision. Avec Bonjour, Ozu signe un film extrèmement léger, où l'on prend un malin plaisir à suivre le quotidien d'une petite communauté où chaque famille possède son lot d'excentricités. Toutefois, derrière un ensemble plutôt jovial, certaines répliques, comme la discussion sur la retraite, viennent faire écho à d'autres films du réalisateur plus mélancoliques. Ce qui n'empêche aucunement à Bonjour d'être le genre de film anti-dépresseur, dont le visionnage devraît être remboursé par la Sécurité sociale.
Si jamais ce petit article a réussi à vous donner envie de découvrir son oeuvre et que vous désirez en savoir plus, n'hésitez pas à jeter un coup d'oeil aux liens suivants :
La page consacré à Ozu sur Cinéasie
L'excellent dossier de Arte à l'iconographie assez riche
Le site officiel (en anglais)
Un très bon dossier par le site Midnight Eye (en anglais)
La bande-annonce du film Bonjour au format Real Player
Photos tirées de Bonjour et d'autres films
Pour terminer, signalons l'existence d'un coffret DVD édité par Arte Vidéo, comprenant Gosses de Tokyo, Fleurs d'Equinoxe, Bonjour, Fin d'Automne, Dernier Caprice et le Goût du Saké.