mercredi, août 24, 2005

La Bête Aveugle (Yasuzo Masumura, 1969)

"69... Année érotique..."

Et bien plus que ça encore pour Yasuzo Masumura, qui, cette année-là livrait un film déviant, croisement improbable entre le courant surréaliste des années 20 et le cinéma d'exploitation japonais des années 70. Un grand merci à la société de distribution Zootrope Films, qui depuis une paire d'années, exhume les films de Masumura (Tatouage, La Femme de Seisaku) pour faire découvrir au public français l'oeuvre de ce cinéaste hors-normes.

L'histoire : Un sculpteur aveugle enlève et séquestre dans son atelier une jeune modèle dans le but de réaliser la statue idéale. Après deux vaines tentatives d'amadouement et de ruse pour s'enfuir, qui se solderont par la mort accidentelle de la mère du sculpteur, la victime va finalement s'eprendre de son ravisseur et partager avec lui des plaisirs de la chair de plus en plus extrèmes, jusqu'à aboutir au point de non-retour...

Précédé d'une critique élogieuse par la quasi-totalité de la presse française, La Bête Aveugle est un film extrême à déconseiller vivement aux âmes sensibles. Aurélia ne s'y est pas trompée, puisqu'elle a préféré nous abandonner Sébastien et moi, pour aller s'offrir un autre délice japonais (Récit d'un propriétaire de Yasujiro Ozu).

Par son univers érotique et son final extrèmement gore, le film de Masumura annonce la série des Female Convict Scorpion, initiée trois ans plus tard par Shunya Ito, dans laquelle la ravissante Meiko Kaji incarne une mystérieuse délinquante, qui, lors de son incarcération, subira divers outrages de la part de ses geôliers. Tout comme ces films d'exploitation, La Bête Aveugle se caractérise par une audace formelle épatante, notamment à travers le décor du hangar du sculpteur aux murs tapissées de sculptures de parties anatomiques humaines (cf. le mur d'yeux visible sur l'affiche française du film), qui semblent se référer à l'imagerie surréaliste.

La première partie du film se déroule comme un huis-clos, finalement assez prévisible, où la naïveté du sculpteur, couvé par sa mère, est confronté à la féminité sensuelle d'Aki (Midori Mako). Suite à ses multiples palpations afin de saisir la beauté du corps de celle-ci et la mort accidentelle de sa mère, Michio (Eiji Funakoshi) va abandonner ses ambitions artistiques pour s'ouvrir à la sexualité et à ses pulsions réprimées depuis son enfance. Aki, tout d'abord victime, va finir par s'attacher à cet homme, puis suite à sa perte de la vue liée à son enfermement permanent dans la quasi-obscurité, elle va s'initier au "plaisir tactile" (pour reprendre les termes du personnage) procuré par sa relation avec Michio.

A partir de là, le film bascule totalement dans un final gore et sado-maso, qui provoquera moult indignations et éclats de rire (différentes réactions à un même trouble) dans la salle du Mk2 Beaubourg, habituellement réputées pour le silence et le respect des spectateurs envers les films. Ce dernier acte, outre son audace et son aspect provocateur, offre un réelle réflexion sur la nature du désir et une représentation visuelle ambitieuse des liens entre Eros et Thanatos. On est en droit de se demander si Nagisa Oshima ne s'est d'ailleurs pas inspiré de ce film quand il réalisera six ans plus tard L'Empire des Sens. En tout cas, La Bête Aveugle est un film extrême, à découvrir absolument pour les cinéphiles curieux (avides d' objets filmiques non identifiés et amateur de l'Etrange Festival de préférence).

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